Livre après livre

Livre après livre

lundi 21 décembre 2015

Mitterrand, un jeune homme de droite de Philippe Richelle




Cette fiction historique au titre un brin provocateur de " Mitterrand, un jeune homme de droite ", retrace dix ans de la vie de l’ancien président de la République, de ses années de formation à la faculté de droit d’Assas à son engagement dans la Résistance à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Contrairement à ce que son titre aurait pu faire supposer, le scénariste belge de cette bande dessinée ne met dans ce portrait aucun parti pris et c’est ce qui la rend vraiment intéressante. Le personnage est présenté comme intelligent et autonome, un esprit ouvert et curieux qui comprend la société.

Mais aussi un homme dont la pensée est indépendante de ses actes, une ambiguïté qui peut expliquer beaucoup de ses actions, notamment ses engagements auprès d’hommes de la droite extrême et du régime de Vichy et par la suite son émergence en tant que le leader socialiste.

Merci à Babelio et aux Editions Rue de Sèvres pour cette enrichissante lecture.

vendredi 18 décembre 2015

Les Grand-mères de Doris Lessing




Des grand-mères indignes diront les bien-pensants, des femmes libres affirmeront les esprits ouverts. En réalité ni l’un ni l’autre, car si les deux amies Roz et Lil sont plutôt des femmes égoïstes, se souciant de leurs belles-filles comme d’une guigne, assumant sans complexe les relations sexuelles qu’elles ont avec le fils l’une de l’autre, elles sont amoureuses. Des histoires d’amour, forcément sans avenir, auxquelles il faudra bien qu'elles donnent une fin.

Avec ce sujet sur les relations de femmes mûres avec des hommes jeunes, Doris Lessing inverse une situation largement admise dans les sociétés patriarcales et pointe l’injustice faite aux femmes. Sans faire de ses héroïnes des femmes sympathiques, elle les soumet implicitement à notre jugement moral pour que nous le remettions éventuellement en cause.

Une belle démonstration sur l’inégalité des hommes et des femmes qui souffre probablement de sa brièveté et de sa forme pour être tout à fait séduisante.

Certaines n'avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka



Pearl Harbour venait d’arriver, du jour au lendemain ils ont tous disparu, peu à peu leurs maisons vides ont été occupées par d'autres, des Américains.

Certains ont dit que ces traîtres de Japonais avaient été déportés dans le désert du Nevada ou de l’Utah, peu importe, ils n’étaient plus dans les champs, plus dans le village, plus nulle part. Plus de trace des hommes ni de leurs femmes qu’ils avaient fait venir du Japon. Des épouses, choisies sur photos, désillusionnées dès la première nuit avec eux, qui partageaient leur misère et les durs travaux des champs, fatiguées par la naissance d’enfants qui les renieraient plus tard.

Julie Osaka a choisi de raconter l’histoire de ces femmes, qui est celle de sa grand-mère, collectivement. Rassemblant leur voix dans un nous qui s’élève pour dire le sort qui a été le leur. Un chant triste, incantatoire et pénétrant qu'on ne peut oublier.

lundi 7 décembre 2015

La vérité sur l'affaire Harry Quebert de Joël Dicker



La seule vérité de La vérité sur l'affaire Harry Quebert est que ce roman, primé par des académiciens et des lycéens (les seconds sont pardonnables pas les premiers), est un succès commercial à défaut d’une réussite littéraire. L’un n’impliquant pas l’autre et vice versa.

Ce qui me conduit à saluer le professionnalisme de ses marketeurs qui ont su faire d’un livre mal écrit à l’histoire indigente, un objet vendu à des milliers d’exemplaires, autrement dit un best-seller. La littérature n’ayant bien entendu rien à voir dans cette affaire… de commerce.

Naissance d'un pont de Maylis de Kerangal


Avec cette visite d'un chantier titanesque Maylis de Kerangal nous donne l'occasion de découvrir un monde concentré sur des éléments techniques et humains, un univers fermé régi par ses propres lois et codes, une entité qui cesse d'exister à l'achèvement des travaux.

Un sujet qui peut sembler austère mais rendu attrayant par cette fille, petite-fille et épouse de capitaines au long cours, qui a été élevée à l'ombre du pont du Havre et entend faire la critique d'une société qui laisse libre cours à la mégalomanie de quelques-uns pour leur seul profit.

Un roman esthétique où l'auteur met en avant la symbolique d'un chantier, une entreprise humaine qui mobilise toute la force de celui ou ceux qui y travaillent pour aboutir à une réalisation aux conséquences parfois aléatoires.

Les Belles Endormies de Yasunari Kawabata


Passer la nuit à regarder une jeune fille endormie, repenser à une vie désormais derrière soi, aux femmes aimées, filles, maitresses ou mère, à la mort, c'est ce que le vieil Eguchi, lucide et sans tristesse, fait depuis qu'il a découvert la maison des belles endormies.

Car ces adolescentes, rendues inconscientes par l'effet d'un sédatif, livrées aux regards d'hommes âgés, sont des sujets d'admiration propres à la méditation. Une réflexion, quelquefois teintée d'érotisme, induite par la contemplation de leur jeunesse et de leur beauté qui leur permet, tel l'acte d'amour, sans oublier la finitude humaine, de prolonger la vie.

mardi 24 novembre 2015

Un hiver sur le Nil : Florence Nightingale et Gustave Flaubert, l'échappée égyptienne de Anthony Sattin



Alors qu’ils sont jeunes et inconnus, Florence Nightingale et Gustave Flaubert s’embarquent pour un voyage en Egypte. Tous deux sont déprimés, l’une à cause de ses parents qui voudraient la voir mariée et refusent ses choix, l’autre par l’échec de l’écriture de son premier roman, La Tentation de saint Antoine. Pendant cet hiver 1849 et après, les deux voyageurs auraient pu se connaitre mais d’Alexandrie à Abou-Simbel, sur place et au retour, ils ne se parleront jamais.

Gustave Flaubert a tout observé, ne se contentant pas de passer son temps dans les lieux de plaisir qu’il affectionnait tant, contrairement à ce que pensait et a écrit son ami Maxime Du Camp qui l’avait entrainé dans ce périple. Un voyage après lequel il va écrire le roman qui l'a rendu célèbre, Madame Bovary. Florence Nightingale, dans une démarche très différente, une quête quasi spirituelle, puisera dans ce séjour la force qui fera d’elle une femme libre, la grande réformatrice de la santé publique qu'elle a été dans son pays.

Anthony Sattyn, rencontré grâce à Babelio, avec Gilbert Sinoué venu le soutenir (il a aussi écrit un livre sur Florence Nightingale), raconte que son idée est née du hasard. Un jour, à la British Library, il tombe fortuitement sur les lettres d’Egypte de Florence Nightingale, et comprend à leur lecture que celle-ci a pris, pour se rendre au Caire, le même bateau que Gustave Flaubert. Il imagine donc la mise en parallèle de leur expérience orientale, une façon de montrer comment la découverte de nouveaux horizons a inspiré une œuvre et une vie hors du commun.


C'est un passionnant voyage en Egypte, en compagnie d’êtres appelés à devenir exceptionnels, auquel Anthony Sattyn nous convie.

Je vous écris dans le noir de Jean-Luc Seigle



Des femmes sont clouées au pilori et livrées à la vindicte publique plus pour leur attitude, leur comportement que pour les crimes qu’elles ont commis. Pauline Dubuisson est certainement de celles-là, autrement comment expliquer l’acharnement de ses juges à ne lui trouver aucune circonstances atténuantes.

Son crime était un crime passionnel non prémédité, contrairement à ce qu’elle a avoué à ses accusateurs qui cherchaient vainement à le démontrer. Un crime perpétré par une femme victime des hommes, de son père surtout qui s’est servi d’elle pour ramener à lui son épouse adorée.

Une jeune femme jugée et condamnée pour sa fierté, prise pour de la froideur et de l’arrogance, et au nom de la morale. Son passé de jeune fille facile, tondue à la libération alors qu’elle n’avait que dix-sept ans, en faisait une dépravée amorale capable de donner la mort sans états d’âme.


Pauline Dubuisson a tué et s’est suicidée parce qu’on peut tuer et mourir d’être désaimé. C’est ce qu’elle nous dit avec l’immense talent de Jean-Luc Seigle.

samedi 10 octobre 2015

Histoire de la reliure de création : la collection de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Yves Peyré



Après une époque où tous les livres étaient reliés ou en attente de l’être, le Premier consul, qui exige l’identification des livres sur leur première page, précipite l’apparition de la couverture moderne. Une évolution qui a paradoxalement permis l’éclosion de la reliure de création ou reliure d’art, la reliure cessant d’être une obligation mais gardant son intérêt de protection et de conservation. Si l’Art nouveau et l’Art déco se disputent le point de départ de son éclosion, la reliure de création s’inspire souvent de l’art du moment dont elle en est un des reflets et hausse le relieur, qui doit servir le livre, du rang d’artisan à celui d’artiste.

A la bibliothèque Sainte-Geneviève, la reliure de création, très représentée jusqu’en 1870, a cessé radicalement de l’être à la fin du XIXe et au XXe siècles. Profitant de la crise économique de 2008, qui a fait baisser le prix des grandes reliures historiques de l’époque moderne, Yves Peyré, conservateur général des bibliothèques et directeur de celle de Sainte-Geneviève de 2006 à 2015, a acquis plus de quatre cents reliures en moins de six ans. Une magnifique collection, savamment commentée par le conservateur dans cet ouvrage.


Merci à Babelio et aux Editions Faton pour cette très belle lecture.

vendredi 2 octobre 2015

Le journaliste et l’assassin de Janet Malcom


En 1970 en Californie, Jeff Mac Donald, un médecin servant dans une unité de bérets verts, est accusé puis blanchi par un tribunal militaire du meurtre de sa femme enceinte et de ses deux petites filles. Quelques années plus tard, un dossier convaincant, fruit de l’enquête reprise par la justice fédérale, le fait de nouveau comparaitre devant un tribunal. Cette histoire intéresse le journaliste désargenté (ses livres ne se vendent plus) Joe Mc Ginniss qui, après une rencontre avec Mac Donald pour un article, accepte de signer un contrat avec lui pour écrire un livre sur l’affaire.

 Rapidement les deux hommes se lient d’amitié et ne se quittent plus. Une amitié de séduisants mâles américains aimant le football et les femmes, de deux séducteurs sûrs de leur charme. Une proximité qui pousse Mac Donald à répondre aux questions les plus indiscrètes de Mc Ginniss qui intègre son équipe de défense. Le journaliste affirme croire dur comme fer à l’innocence de son ami et quand celui-ci, à l’issue de son second procès tenu en 1979, est condamné à perpétuité, il lui envoie des lettres en prison où il lui dit souffrir autant que lui de cette monstrueuse injustice.

Mais quand le livre paraît, Mac Donald découvre une toute autre réalité. Son ami et partenaire le décrit comme un dangereux psychopathe dont il est persuadé de la culpabilité. Mac Donald décide, devant tant de duplicité et de mauvaise foi, d’attaquer Mc Ginniss en justice pour « tromperie et violation de contrat ». Procès que Mac Donald va gagner. Mc Ginniss est condamné pas tant pour avoir écrit ce qu’il pensait réellement de cette affaire dans un livre de non-fiction (dans un roman, la liberté d’expression est totale) que pour avoir trompé son sujet en lui soutirant des informations par le biais d’une fausse amitié.

Ce récit passionnant de Janet Malcom pose le problème des rapports de l’auteur et de son sujet dans la littérature de non-fiction. Un cas d’école déontologique où la question est de savoir si, au nom de la vérité, tous les moyens sont permis.

Le secret de la manufacture de chaussettes inusables d’Annie Barrows



Pour avoir refusé d’épouser le garçon proposé par son fortuné et sénateur de père, Layla Beck est contrainte par lui de travailler pour le Federal Writer's Project, un projet subventionné par Washington pour encourager et soutenir l'écriture, parmi ceux mis en place par Roosevelt après la crise de 29. Sa mission est de rédiger la chronique d’une petite ville de Virginie pour le cent-cinquantenaire de sa fondation, mandatée par ses notables désireux d’entrer dans l’Histoire. Durant l’été surchauffé de 1938, elle prend pension chez les Romeyn, une famille non conventionnelle qui a perdu la propriété de la manufacture de chaussettes de la ville à la suite d’un mystérieux incendie. L’enquête minutieuse de la jeune femme, surveillée par une enfant dégourdie, mettra au jour des secrets que beaucoup n’auraient pas voulu voir révélés.

Une histoire déjantée où Annie Barrows peint avec beaucoup de talent, drôlerie et ironie une époque, celle de la Grande Dépression, dans une petite ville de province américaine qui redoute la faillite de la fabrique qui l'a fait vivre et dont l’originalité et les secrets d’une famille l'ont exclue du cercle des notabilités.

L’institutrice d’Izieu de Dominique Missaka

La volonté de Gabrielle Perrier, institutrice d’une classe d’enfants juifs réfugiés à Izieu en 1944 et déportés sur ordre de Klaus Barbie, était qu’on ne parle pas d’elle. Après le refus de cette dernière, l’historienne Dominique Missaka a souhaité malgré tout rendre hommage à cette femme qui, même si elle était en vacances lors de l’arrestation des enfants, a su s’occuper d’eux avec beaucoup de professionnalisme et gentillesse.

Si Gabrielle Perrier, qui sortira de l’anonymat à l’occasion du procès de Barbie en 1987, ne veut pas être le sujet du livre de Dominique Missaka, c’est qu’elle pense n’avoir joué aucun rôle et surtout qu’elle se culpabilise de n’avoir pas eu conscience du danger qui pesait sur les enfants, alors qu'elle savait qu'ils étaient juifs, même si à aucun moment ceux-ci ne lui ont dit.

Au Musée-mémorial des enfants d’Izieu créé à l’initiative de Sabine Zlatin, fondatrice avec son mari en 1943 de la colonie des Enfants d'Izieu, Simone Veil, le 6 juin 2010, a rendu un vibrant hommage à Gabrielle Périer disparue six mois plus tôt. Elle a mis aussi en garde les générations à venir : « Il ne suffit pas de ne pas oublier ».

Jacob, Jacob de Valérie Zenatti



Ce beau jeune homme intelligent qui chante merveilleusement bien et est le préféré de Rachel, sa mère, c’est Jacob. Un juif de Constantine qui va quitter son pays et sa famille, des mères aimantes, des femmes soumises à des hommes violents et frustres, la misère des siens dont il est le soleil, pour aller faire la guerre là-bas, dans un pays qu’il ne connait pas, de l’autre côté de la méditerranée. Après la chaleur et la violence des combats du débarquement en Provence, sur le chemin qu’il le mène en Alsace, il connaîtra l’amour, puis le froid et l’horreur de la mort des soldats.

Avec Jacob, Jacob, Valérie Zenatti raconte l’histoire de sa famille. Un récit forcément romancé puisqu’elle ignore ce qu’a vécu Jacob quand il a quitté l’Algérie pour aller se battre en France. Ce qu’elle sait c’est ce que sa grand-mère lui a dit et ce qu’elle a lu dans les livres. La douleur de Rachel à la recherche de son fils, le dénuement de leur vie algéroise, les enfants expulsés des écoles après les lois de Vichy contre les juifs, le départ forcé des pieds noirs vers la France, quelques années plus tard.

Jacob, Jacob ou le très bel hommage d’une jeune femme érudite, née en France, dont Jacob son grand-oncle bachelier serait le double, à sa famille pauvre qui ne maîtrisait pas la culture, des gens traversés par l’Histoire entre l’Algérie et la France qui a décidé ce qu’ils sont devenus.

jeudi 3 septembre 2015

La Mala Vida de Marc Fernandez




Mala vida, le mal de vivre, celui d’Isabel, petite-fille de républicains espagnols auxquels on a retiré leur fils le jour de sa naissance, officiellement mort-né. Aujourd’hui, alors que la droite conservatrice est revenue au pouvoir, Isabel  a imaginé une vengeance à la hauteur de la souffrance de ses grands-parents et de tous ceux qui ont vécu le même drame. Après la création d’une association de victimes, pour faire reconnaitre les préjudices subis malgré la loi d’amnistie votée à la mort de Franco, secrètement elle va infliger un châtiment que beaucoup penseront  inexcusable.  

Ce roman, ni vraiment historique ni vraiment policier, est  largement inspiré d’un épisode de l’histoire espagnole, celui de l’affaire des enfants volés après la guerre civile. Pour des raisons idéologiques, des enfants de républicains étaient vendus à des familles bourgeoises, avec la complicité de médecins et de religieuses. Les franquistes prétendaient  sauver  les âmes des enfants de "rouges" en les  confiant  à des familles proches du régime. Une pratique, que l’on retrouve en Argentine pendant la dictature militaire de 1976 à 1983 avec le vol de bébés d'opposants politiques, qui perdurera en Espagne même après la mort de Franco.

Marc Fernandez, ex-journaliste à Courrier International spécialiste de l’Espagne et de l’Amérique latine, créateur de la revue Alibi consacrée au polar, signe ici son premier roman en solo. Un essai réussi  qui, même s’il n’approfondit pas le sujet des enfants volés, évoque la souffrance de ces victimes du franquisme.

Merci à Babelio et aux Editions Préludes pour cette agréable lecture.

lundi 31 août 2015

Exterminez toutes ces brutes de Sven Lindqvist


Le suédois Sven Lindqvist, inspiré par la phrase : « Exterminez toutes ces brutes » écrite à la fin du rapport de Kurtz dans le roman de Conrad, Au cœur des ténèbres, analyse les crimes de la colonisation européenne en Afrique.

Sven Lindqvist, comme Conrad avant lui, dénonce un racisme primaire des colons qui qualifient les Africains de brutes, leur retirent de fait toute humanité et justifient leur extermination. Des massacres, connus de la Belgique et de l'Angleterre, largement indifférentes, pour une conquête réalisée uniquement grâce à une supériorité militaire. Une brutalité issue d'une idéologie plus largement développée par les nazis allemands pour motiver le génocide des « races inférieures » dont les Européens, anglais surtout, comme le montre Lindqvist, ont été les précurseurs.

Exterminez toutes ces brutes, une réflexion remarquable et indispensable sur l’idéologie de la colonisation européenne et ses conséquences.

vendredi 28 août 2015

Une ombre sur le Roi-Soleil : L’affaire des Poisons de Claude Quétel


Même s’il existe une rivalité entre les deux grands serviteurs de l’Etat que sont Colbert et Louvois, comme le Roi, ils sont scandalisés par les affaires de poisons qui agitent son règne. Pour tenter de remédier aux  messes noires, expériences alchimiques et morts inexpliquées qui se multiplient dans un Paris sale et dangereux, Colbert crée le poste de lieutenant général de police occupé par Gabriel-Nicolas de la Reynie et nomme  François Desgrez à celui de capitaine de la compagnie du guet.

Ceux-ci font arrêter, torturer et exécuter des accusés pour le salut de leur âme qui, s’ils avouent leurs crimes, échapperont à l’enfer. Ceux qui se retrouvent ainsi soumis aux pires supplices sont issus de tous les milieux, car du plus grand seigneur au plus simple artisan on recourt aux services des « sorcières » et autres scélérats pour régler ses affaires. Le Roi lui-même suit de près ce « nettoyage », conscient que même dans son entourage proche il se trouve des gens pour vouloir intenter à sa vie. Madame de Montespan, sans jamais que cela soit complètement prouvé, en fait partie.

Avec Une ombre sur le Roi-Soleil Claude Quetel signe une enquête rigoureuse aux développements passionnants. Remarquable historien et conteur, il nous introduit dans une époque troublée où, face à l’émergence des affaires des poisons et de son monde interlope, le pouvoir a mis en place les bases de la police moderne.


 Merci à Babelio et aux Editions Tallandier pour la découverte de cet auteur et de son livre

Les Infâmes de Jax Miller


Contrainte de renoncer à ses enfants, quand elle est accusée à tort du meurtre de son mari, Vanessa Delaney ne peut plus les récupérer alors qu’un de ses beaux-frères est condamné pour ce crime. Vingt ans après, la libération de celui-ci la pousse à surmonter son statut de victime protégée par la police et à partir à leur recherche. Devenue violente, alcoolique et dépressive, elle devra  lutter contre ses démons pour affronter  la face sombre de l’Amérique.  

Jax Miller met en scène, avec un certain réalisme, la violence de l’Amérique profonde, celle des gangs de motards, des sectes et des familles de dégénérés. Et en dépit de l'écriture souvent chaotique, on croit à la bataille de l’héroïne pour sauver ses enfants et se sauver grâce son instinct de conservation qui l’a fait triompher des pires épreuves.

Merci à Babelio et aux Editions Ombres noires la découverte de cette auteure et de son livre.

Karoo de Steve Tesich


Saul Karoo, correcteur talentueux de scénarios, imagine pouvoir guérir de ses difficultés affectives et existentielles en transformant le cours de la vie de ceux qu’il aime. Mais il n’est pas Dieu et son désir de rédemption ne sera pas assouvi par cette ultime manipulation qui le conduira au bord de la folie.

Drôle, ironique, lucide, intelligent, ce roman est une réflexion sur la vacuité de la vanité humaine, la découverte de la spiritualité comme sens ultime de la vie. Un livre dense et profond qui apparait comme le testament halluciné d’un écrivain mort quelques jours après l’avoir achevé. Remarquable.

L’amour conjugal d’Alberto Moravia



Sylvio veut écrire un roman, un roman sur l’amour conjugal. Pour réaliser son projet, il s’installe en Toscane avec Léda, son épouse aimée. Mais le soutien de celle-ci ne suffit pas à nourrir son inspiration. Sûr de l’amour de sa femme, il imagine alors l’abstinence charnelle comme pendant de sa puissance créative et lui propose de faire chambre à part. Mais Silvio pense Léda soumise et éthérée là où elle est impétueuse et animale. Une erreur de jugement qui va lui faire connaitre les affres de la jalousie, d’objet utile à son épanouissement elle deviendra sujet agissant pour elle et par conséquent contre lui.

L’amour conjugal ou l’attachement indéfectible, concept bourgeois raillé divinement par un Moravia ironique et malicieux.

lundi 2 mars 2015

Un parfum d'herbe coupée de Nicolas Delesalle


L'écriture des souvenirs de Nicolas Delesalle adressés à Anna, son arrière-petite-fille imaginaire, a commencé par des messages sur twitter. Des textes rédigés sur une dizaine d’années qu'il complète sur la proposition d’un éditeur qui veut en faire un livre.

Obsédé par ce qui reste et ce qui disparaît, passionné par l’instant T, celui où l’on change, ce grand reporter à Télérama mélange dans ces histoires courtes des éléments autobiographiques et fictionnels. Utilisant plusieurs niveaux de langage, il passe du rire aux larmes, nous amuse, nous émeut et finalement nous parle de nous-mêmes. Car sans volonté de faire passer un message, cette histoire intime a un forme d'universalité.

La rencontre avec l’auteur, éminemment sympathique, confirme l’impression laissée par la lecture d’Un parfum d’herbe coupée. La sincérité, la fraîcheur mais aussi la profondeur émanant de ces moments racontés les rendent utiles parce que vraiment humains.

Merci à Babelio et aux Editions Préludes pour cette belle expérience.

jeudi 26 février 2015

La traversée de l'été de Truman Capote


Première œuvre de Truman Capote, La Traversée de l’été n’avait pas suffisamment plu à son auteur pour qu’il en souhaite la publication. Le manuscrit retrouvé en 2004, lu par l’administrateur de la fondation Capote et par des spécialistes de l’œuvre de l’écrivain, est finalement édité deux ans plus tard.

Truman Capote y raconte l’histoire de deux jeunes New-Yorkais qui passent l’été dans la ville. Elle, une jeune fille de bonne famille, est tombée amoureuse du gardien d’un parking de Broadway. Sorte de mauvais garçon, il lui apporte le vent de liberté et de transgression auxquelles elle aspire. C’est un été de toutes les folies où cet amour impossible et bancal connaît un épilogue sans joie.

La maturité dont fait preuve Truman Capote dans ce roman est étonnante. La finesse de l’évocation des sentiments et de la vacuité de la vie de ses personnages ne laisse pas soupçonner un auteur aussi jeune. Rien n’est direct ni trivial, tout est suggéré, seules quelques rares phrases manquent un peu de légèreté. On reste irrésistiblement charmé par ce conte moderne de la non perméabilité des classes sociales.

mercredi 25 février 2015

A moi seul bien des personnages de John Irving


Élève dans les années soixante dans une école américaine d’une petite ville de l’Etat du Vermont, Bill découvre le théâtre, l’amour et la sexualité.

Le parcours de Bill a pour point de départ une quête à la découverte des autres et de soi. Bien que cherchant à percer des secrets familiaux qui peuvent expliquer ses attirances bisexuelles, il assume sans culpabilisation son ambiguïté dans une Amérique puritaine qui considère l’homosexualité comme une maladie mentale.

Dans les années quatre-vingts, alors qu’il est devenu écrivain et new-yorkais, au moment où le sida fait des ravages, Bill assiste à l'agonie de ses amis. Et même si les mentalités ont évolué, beaucoup de ceux qui l’entourent voient encore cette maladie comme un jugement de Dieu et les homosexuels comme des pestiférés.

Après un début difficile où l’on se perd dans des digressions théâtrales, A moi seul bien des personnages nous immerge dans la réalité des homosexuels, travestis et transgenres américains. Sans porter de jugement, John Irving met en scène la complexité de l’identité sexuelle.

Avec humour et mélancolie, A moi seul bien des personnages est un plaidoyer pour la tolérance, une critique de l’Amérique restée très puritaine malgré la libération sexuelle, mais aussi l’histoire d’une recherche légitime du désir et de l’amour.

mardi 24 février 2015

Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie

De nombreux jeunes nigérians de la classe moyenne partent étudier aux États-Unis, comme la jeune Ifemelu qui va y faire l’expérience de l’amour mais aussi du racisme.

Pour réaliser son rêve américain, Ifemelu laisse au Nigéria son grand amour, Obinze. Ces années loin de son pays la changent, elle fait des rencontres épanouissantes, travaille, découvre la littérature mais aussi la couleur de sa peau et ce que cela implique d’être Noire aux États-Unis. Et c’est tour à tour enthousiaste et désabusée qu’elle finit par désirer un retour dans son pays.

La rencontre chez Gallimard de la belle et lumineuse Armamanda Ngosi Adichie permet de comprendre qu’Amiracanah n’est pas son histoire, mais plutôt un ensemble de récits croisés de ses amis et de son expérience personnelle, les anecdotes sur les cheveux étant les plus autobiographiques.

Avec ce livre sur l’amour, mais surtout sur la race vécue comme une injustice, Armamanda Ngosi Adichie dit avoir eu peur de déplaire. Il est vrai que, sans langue de bois, à travers le blog de son héroïne, elle dénonce les préjugés attachés aux Noirs et l’hypocrisie ou le mépris des Blancs, qui ne peuvent parler de « Noirs », ou qui ne les imaginent que dans des postes subalternes.

Malgré tout, aujourd’hui encore, des jeunes nigérians, étudiants ou simples travailleurs, continuent d’être attirés par les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, cette expérience restant un moyen de s’affirmer et d’accéder dans leur pays à des postes intéressants.

Un livre passionnant, bien écrit, drôle, où le problème du racisme et de la race est clairement posé.
Merci aux Éditions Gallimard et à Babelio pour la découverte de cette auteure et de son roman.